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Le projet Graupner...

Diffusion de la musique de Christoph Graupner (1683-1760) par Geneviève Soly et Les Idées heureuses

Un génial compositeur méconnu?

Comment se fait-il que ce compositeur si louangé et reconnu comme l'un des compositeurs importants de son époque par ses contemporains soit par ailleurs tombé dans l'oubli de nos jours?

Les raisons historiques de l’oubli de Graupner sont faciles cerner si l’on se penche sur les phénomènes de diffusion des sources musicales originales. En effet, la musique de Graupner n’a pas été disséminée, ni de son vivant, ni après sa mort.

Plus de 99 % de sa production est conservée en manuscrits en un seul lieu : la bibliothèque de Darmstadt (ULB : Universitäts- und Landesbibliothek). Ce corpus, exceptionnel par sa taille, par la qualité de préservation des documents, de même que par son contenu, comprend des partitions autographes[1] mises au net par le compositeur et des manuscrits préparés par les copistes de la cour en vue de l’exécution de sa musique, en général pour une circonstance déterminée. Seuls les bibliothécaires de Darmstadt, dès le début du XIXe siècle, et quelques musicologues qui y ont travaillé depuis cent cinquante ans, eurent conscience de la richesse de ce fonds. Au cours du XXe siècle, quelques musicologues écrivirent des thèses et des articles sur Graupner et sa musique, mais il y en a peu et ces documents demeurent très spécialisés.

De plus, il y avait, dans la première moitié du XXe siècle, une nette coupure entre la musicologie et l’interprétation – de nos jours, plusieurs interprètes font de la recherche musicologique et de l’édition. Trop peu de musique du compositeur fut éditée et rendue accessible au cours du XXe siècle.

Ce n’est qu’en 2005 que parut le catalogue de ses pièces instrumentales de Graupner (GWV – Graupner Werke Verzeichnis), par Oswald Bill et Christoph Großpietsch, qui travaillèrent de nombreuses années sur la recension et la datation de toutes les pièces instrumentales de Graupner : 112 symphonies,85 ouvertures, 44 concertos, quelques dizaines de sonates et 45 partitas pour le clavecin. Oswald Bill a depuis fait paraître le premier volume du catalogue de la musique vocale religieuse comprenant les cantates de l’Avent  (2011; 760 pages). Le second volume de musique vocale religieuse paraitra instamment.  Ce travail monumental prendra encore plusieurs années avant d’aboutir à une publication complète.

On peut dire que c’est le confinement de la musique de Graupner en un seul lieu qui a été à la fois une force et une faiblesse.Une force parce que, alors que Graupner sort de l’ombre dans laquelle il était plongé depuis sa mort, toute sa production est disponible, bien conservée et, grâce à Oswald Bill, bien classée. C’est une mine d’or exceptionnelle.

Ce fut également une faiblesse car ce confinement en un seul lieu a retardé la diffusion de la musique de Graupner.

 

Les principales raisons du confinement de la musique de Graupner en un seul lieu:

 

Le différend entre les héritiers de Graupner et le landgrave.

À la mort du compositeur, en 1760, les enfants héritiers souhaitèrent vendre la musique de leur père – qu’ils conservaient à leur domicile – au landgrave régnant du moment, employeur de Graupner, Ludwig VIII. Celui-ci refusa de l’acheter prétextant que la musique de leur défunt père avait été entièrement produite sous le service de son père, le landgrave Ernst Ludwig ainsi que sous son service – et que leur père avait été dûment rémunéré pour ce faire.

Puisque les partitions autographes de leur père qu’ils possédaient étaient leur unique bien, et qu’ils étaient dans le besoin, ils souhaitèrent poursuivre leurs démarches de vente, qui demeurèrent cependant infructueuses. En 1819, une petite nièce de Christoph Graupner vendit finalement toutes les archives autographes de son ailleul, pour une somme symbolique, à la bibliothèque du château de Darmstad.

On était alors en pleine période romantique et la musique baroque n’intéressait plus. Le fonds de manuscrits fut transféré au château, là où se trouvait la bibliothèque grand-ducale, devenue par la suite bibliothèque de l’État de Hesse puis celle de l’université de Darmstadt. Les autographes de Graupner s’y trouvent toujours, au lieu même où cette musique fut créée.


Graupner n’eut aucun élève, à une exception près, contrairement à Bach, par exemple. Replaçons-nous au XVIIIe siècle. La diffusion de la musique se fait beaucoup grâce aux copies manuscrites réalisées par les élèves des compositeurs. Après leurs études, ils emportent ces documents dans leur ville d’origine ou dans la ville où ils obtiennent un poste, ce qui permet une diffusion plus large. Plus il se trouve de copies d’une œuvre en différents endroits, plus cette musique a la chance d’être connue. La multiplication des sources est un élément clé de la diffusion de la musique. Si la musique est disponible dans diverses bibliothèques, elle a davantage de chances d’être « redécouverte » que si elle est confinée en un seul lieu. Celle de Graupner ne bénéficia pas d’une telle diffusion.

 

Graupner ne voyagea pas.

Contrairement à Handel ou à Telemann qui séjournèrent en Italie, en Angleterre et en France, Graupner ne visita aucun autre pays, ses occupations professionnelles extrêmement lourdes l’en empêchant.

De plus, outre qu’il n’occupa que deux poste dans sa carrière (la moyenne de l’époque pour les maitres de chapelle est de cinq postes dans une vie), nous ne lui connaissons que deux voyages professionnels : à Leipzig au moment de sa candidature au poste de cantor en janvier 1723 (poste qu’il gagna d’ailleurs, sans pouvoir l’occuper cependant) et à Worms dans le cadre de l’inauguration de l’église de la Trinité, lors de laquelle cinq de ses cantates furent interprétées, le 31 juillet 1725.

Les musiciens qui voyagent ont beaucoup plus d’occasions de voir leurs œuvres répandues; ce fut le cas par exemple de Jacob Froberger au XVIIe siècle, dont nous retrouvons la musique de clavecin dans trente bibliothèques différentes.

C’est donc par un malheureux concours de circonstances entremêlant plusieurs éléments que Graupner fut oublié jusqu’à nos jours. Depuis quelques années, son nom et son œuvre sortent de l’ombre. L’étude de sa production musicale phénoménale (plus de 2 000 œuvres comportant environ 16 000 pièces), géniale à maints égards par les capacités de synthèse et d’invention musicale du compositeur, met en perspective les œuvres de formes similaires de ses compatriotes Telemann, J.S. Bach et Handel, mais aussi de Rameau, né la même année que lui (1683).

 

Madame Soly, vous vous êtes très identifiée à Graupner; en France, on vous appelle même « la veuve Graupner »! On entend souvent dire, ici, à Montréal, que vous êtes la seule musicienne à travailler sur Graupner… Qu’en est-il exactement?

Vous pensez bien que non! Ce serait d’ailleurs de mauvais augure… On peut peut-être dire que je suis la musicienne qui consacre le plus de temps et d’énergie à travailler les œuvres de ce compositeur. Il est vrai que, pour la musique de clavecin – mon instrument de prédilection – je suis pour le moment une des seules à les jouer. J’espère publier prochainement l’édition moderne de ses  Partitas pour le clavecin de 1718 (Partien auf das Clavier) Lorsque ce volume magistral et fort important pour le développement de la technique du clavecin deviendra disponible, j’espère que les professeurs de clavecin et les clavecinistes commenceront à jouer et à intégrer Graupner à leur répertoire. Mais déjà notre travail fait du chemin : une chaconne de Graupner, la première pièce du compositeur que j’avais jouée en concert en 2001 et que j’ai rejouée au festival de Bruges en 2004, était imposée au Concours international de musique ancienne de Brugesen 2011: une grande première! Puisque nous parlons d’éditions, je mentionne que quelques-unes de ses 1418 cantates sd’église sont disponibles, entre autre, chez Prima la Musica!, Carus Verlag, La Sinfonie d’Orphée et Hänssler.

Je veux aussi citer ici les travaux remarquables du musicologue allemand Friedrich Noack qui édita plusieurs œuvres de Graupner entre 1926 et 1955, principalement chez Bärenreiter. Malheureusement, ces excellentes éditions sont pour la plupart épuisées et disponibles seulement dans des bibliothèques spécialisées. Noack consacra sa vie à l’étude des manuscrits autographes de Graupner et avait un goût très sûr. Malheureusement, la deuxième guerre mondiale le retarda dans ses travaux et il était passablement isolé. Dès 1914, il présentait à Berlin une dissertation sur la musique d’église de Graupner, publiée en 1916, qui servit de base à l’excellente édition d’une sélection de 17 cantates éditées dans le « Denkmäler deutscher Tonkunst »[2](Monumentale des compositeurs allemands).

Une quarantaine de disques de musique de Graupner est actuellement disponible sur le marché et la plupart de trouvent à la grande Bibliothèque de Montréal.

Parmi les interprètes-musicologues qui travaillent sur Graupner, il m’importe de citer les deux remarquables enregistrements d’oeuvres orchestrales de Graupner par Siegbert Rampe et son ensemble Nova Stravaganz.  Sont aussi disponibles ceux de Tobias Bonz et son ensemble Antichi Strumenti ainsi que ceux du hautboïste Marcel Ponselle et de son ensemble Il Gardellino. Un très beau disque de cantates de la Passion dirigé par Hans Michael Beuerle et édité chez Carus est paru récemment. Finalement, Florian Heyerick, directeur de l’ensemble vocal Ex tempore et cité ci-dessus, a dirigé Ein Weinachtsoratorium, disque édité chez RICERCARE et paru en novembre 2010 en Europe, qui s’est vendu à plus de 5 000 exemplaires dans les deux mois suivant sa sortie : une première pour la discographie Graupner!

Florian Heyerick présentait en concert en avril 2010 en première recréation mondiale deux opéras de Graupner : Didon et Antiochus und Stratonica, chefs-d’œuvre qui seraient dignes d’entrer dans le répertoire baroque.

Du côté musicologique, je souligne la publication des actes de deux colloques consacrés aux maitre suite à deux de ses anniversaire :

 

Le 300e de sa naissance en 1983 et le 250e de sa mort en 2010, tous deux dans la collection des  « Contributions  à l’histoire de la musique du pays rhénan  moyen », publiés chez SCHOTT:

l’une est éditée par le docteur Oswald Bill (Schott, 1984) et l’autre par la doctoresse Ursula Kramer (Schott, 2011), l’actuelle présidente de la Société Graupner. Un livre consacré aux cantates profanes de Graupner écrit par Beate Sorge a été publié: Christoph Graupners Musik zu zeremoniellen Anlässen.

 

La Christoph Graupner Gesselschaft (Société C. Graupner) de Darmstadt fait paraitre des publications musicologiques depuis sa fondation en 2004.

Même si ces travaux – dont certains, certes, très spécialisés – et ces disques sont disponibles, il faut du temps pour qu’ils se rendent auprès du public, pour que celui-ci « adopte » et connaisse un « nouveau » compositeur.

Ce n’est pas parce ce qu’un catalogue ou un volume de musique est édité que le monde le connait d’emblée! Qui lit tout ce texte en ce moment? La connaissance et surtout, l’intégration de nouvelles données, d’un nouveau style, prennent du temps à se développer. C’est exactement comme pour les relations humaines. On rencontre quelqu’un et on peut l’aimer d’emblée – c’est le miracle de l’amour et du coup de foudre – mais on passe ensuite tant d’années à découvrir cette personne, à la comprendre, à la connaitre, à l’aimer véritablement.

La démarche de Geneviève Soly:

histoire d’une redécouverte

 

En novembre 2000, grâce à l’obtention d’une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec pour un projet intitulé « Retour aux sources », Geneviève Soly effectue des recherches sur le répertoire de clavecin non édité de nos jours. Après avoir ciblé, grâce à une amorce de recherches sur Internet, trois bibliothèques américaines particulièrement riches en répertoire de l’époque baroque, elle se rend à l’université Yale (New Haven, Connecticut) et y trouve un manuscrit qu’elle juge d’emblée de belle qualité : les Partien auf das Clavier (1718), comprenant huit partitas pour clavecin d’un dénommé Graupner qu’elle ne connait pas.

La bibliothécaire, Suzanne Lovejoy Egglestone, lui fait également part de leur possession d’une autre collection d’œuvres de clavecin de Graupner, mais éditée cette-fois-ci, et dont la bibliothèque possède de l’unique exemplaire de l’édition originale : les Monatliche Clavir Früchte (1722) comprenant quant à elle douze partitas[5].

De retour à Montréal, très intriguée de ne rien connaitre de tout cela, malgré ses études et son doctorat en interprétation, Geneviève Soly commence ses recherches sur Graupner et son œuvre de clavecin : articles dans les revues spécialisées et encyclopédies, répertoire international des sources musicales et autres catalogues musicaux spécialisés, éditions musicales et discographiques du xxe siècle, programmes de concerts, etc., aucune piste n’est négligée. À son grand désarroi, elle ne trouve pratiquement rien de concluant. Il lui faut se rendre à l’évidence : il n’existe qu’un nombre restreint de publications sur Graupner, disséminées tout au cours du xxe siècle, en langue allemande dans la grande majorité des cas.

Ce n’est qu’en mai 2001 qu’elle entre en contact avec Oswald Bill, directeur du département musical de la bibliothèque de l’université de Darmstadt (la  Universitäts– und Landesbibliothek Darmstadt) jusqu’en 2003. Elle établit dès lors un contact étroit avec lui et elle reste en contact personnel avec lui depuis lors. Elle le considère comme son mentor.

Par ailleurs, peu après son voyage à New Haven en novembre 2000, Geneviève Soly avait acheté à Paris une édition facsimilée (publiée par les Éditions Fuzeau en 1993) de 17 partitas inédites de Graupner. Puis, en février 2001, elle reçoit de la bibliothèque de l’université Yale les photocopies des documents qu’elle avait consultés en novembre 2000 : le manuscrit anonyme des Partien auf das Clavier de 1718 et l’édition originale des Monatliche Clavier Früchte de 1722.

Cette brillante musique de clavecin se manifeste alors peu à peu à elle : elle la joue régulièrement, assimile le style du compositeur, ressent la richesse d’invention de ses mouvements de danse, sa générosité et l’esprit ludique qui caractérise Graupner. Elle se forge sa propre idée et se rend compte du potentiel de développement de ce qui deviendra « Le Projet Graupner ».

En mai 2001, après plusieurs mois d’incrédulité, de questionnement, de doutes et de silence (elle passe en fait par toute la gamme des émotions provoquées par les découvertes scientifiques), Geneviève Soly interprète en concert une partita de Graupner. C’était la conclusion de l’année de travail sur le répertoire de clavecin non publié au XXIe siècle tel qu’annoncée dans la demande de subvention « Retour aux sources ». Elle considére l’interprétation de cette œuvre d’envergure (près de 25 minutes) comme un test auprès du public qui lui démontrerait si cette musique pouvait parler d’embler aux auditeurs. La réaction est enthousiaste et le public envahit littéralement la scène après le concert tant l’événement est ressenti comme un moment spécial, « une première ». C’est le déclic. Elle décide alors de consacrer l’essentiel de son travail de claveciniste et de musicologue à ce compositeur pour les quelques années à venir. C’est à ce moment qu’elle propose son travail à Mario Labbé, directeur d’Analketa qui – avec son flair hors-pair – l’agrée. Elle signe alors un contrat de disque avec ANALEKTA.

En novembre 2002, elle se rend enfin à Darmstadt, elle commence aussi l’étude de la musique religieuse de Graupner. Elle ressent un autre choc dû à l’envergure du corpus de musique d’église de Graupner : un monument. Elle se met également à la diffusion de cette musique d’église.

Lors de la saison 2010-2011, Geneviève Soly et Les Idées heureuses organisent, un cycle annuel d’activités pour souligner le 250e anniversaire de la mort du compositeur.

Jusqu’à ce jour, elle porte un intérêt constant à ce compositeur qu’elle ne cesse d’étudier. Elle perfectionne aussi sa connaissance de l’Allemand. Elle poursuit ponctuellement ses visite et recherches à la bibliothèque de Darmstadt et communique régulièrement avec ses collègues européens.

 

Conclusion

 

Le travail qu’exigerait la diffusion complète de l’œuvre de Graupner, par l’édition musicale ou discographique et le concert, s’étendrait sur un nombre incalculable d’années, sans compter les énormes ressources financières qu’il requerrait. Il faudrait pour ce faire des gens téméraires de tout acabit : diffuseurs, organisateurs de festivals, éditeurs de disques et de musique, mécènes… et certainement, des volontés politiques et un financement adéquat, ne serait-ce que pour l’édition moderne de sa musique.

Tant que nous ne pourrons avoir une vue d’ensemble de son œuvre, tout commentaire sera forcément partiel. Une écoute attentive de sa musique disponible actuellement impose d’ores et déjà un immense respect. C’est une page de l’histoire de la musique qui s’ouvre devant nous.

Association, sites et Facebook

 

La Christoph Graupner Gesellschaft de Darmstadt a été fondée en 2004 et rassemble la communauté de musicologues, chercheurs et interprètes qui travaillent sur Graupner. Cette société publie chaque année des communications musicologiques et recense les activités consacrées Graupner. 9 livrets de communications sont disponibles.

Depuis la saison 2010-2011, grâce au projet de Florian Heyerick et son association avec la bibliothèque de Darmstadt, nous disposons en ligne, gratuitement, à travers les Digitale Sammlungen (collections numériques) de la Universität- und Landesbibliothek (l’Université technique) de Darmstadt (tu-darmstadt), la majorité des autographes de cantates de C. Graupner.​ 

Tu Digit

 

De plus, le site de Florian Heyerick, GRAUPNER DIGITAL permet une incursion dans le catalogue de la musique instrumentale (GWV, publié, en 2005) et vocale (en développement).

Graupner Digital

Finalement, une page FACEBOOK est active: Christoph Graupner and friends​

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